EXTRAITS de PEINTURE ET BEAUTÉ
(page 13) Reims 1998 ( trente ans plus tard )
Arrivée à la gare, elle attrapa le premier train. La destination de Lyon lui convenait parfaitement. Elle prendrait une correspondance pour Clermont-Ferrand, puis Millau. C’était la ville de ses grands-parents maternels. Sa tante Gabrielle y habitait également.
Un billet en poche, sans regarder autour d’elle, la tête baissée, elle dévala à vive allure les marches qui menaient au hall central. Puis brusquement, prenant conscience de la présence quasi certaine de caméras de surveillance qui ne manqueraient pas de la repérer si elle sortait du rang, elle ralentit sa course. Elle devait se fondre le plus possible dans la masse et disparaître dans la première voiture. Avant d’aller prendre place dans le wagon, Ann Somerset examina la monnaie qui lui restait ; pas de quoi faire des folies ! À peine assise, par réflexe elle s’intéressa immédiatement aux déambulations des voyageurs pour essayer de discerner les policiers en civil. Même si la chose était rendue facile par le peu de monde circulant un jour férié après-midi, la difficulté de la tâche la découragea rapidement. De plus, dans moins d'une heure, la foule des soirs de fin de week-end se presserait sur ces quais, effaçant toute trace. Elle regarda de nouveau sa montre en implorant aux aiguilles d’avancer. ……
(page 53) …… En s’introduisant dans ce vaste volume vide, une étrange impression s’empara d’elle. Il régnait un calme absolu dans ce lieu déjà si paisible. Ses oreilles furent obturées par le changement d’acoustique. Assourdie, elle voulut chanter, aucun son ne sortit de sa gorge. Une tranquillité énigmatique, ensorcelante l’accapara et la précipita plus en avant.
D’immenses fenêtres garnissaient un des côtés. En face, un miroir emplissait presque tout le mur. Devant, des barres asymétriques d’exercices de souplesse. On avait déplacé récemment les agrès et les machines de musculation pour les installer à la périphérie et ainsi dégager le centre. Les traces étaient encore visibles. Dans un angle, dos aux baies, regardant la salle, un piano droit et posé contre, un violoncelle majestueux. L’endroit, comme l’instant, paraissait magique, plein de mystère en attente. Soudainement, elle prit conscience que sa bouche était restée délibérément ouverte depuis son intrusion. Elle la referma pour déglutir. ……
(page 54) …… L’immobilité silencieuse du lieu et l’harmonie sans aucune dissonance l’enveloppaient, amplifiaient sa perception et la rassuraient tout à la fois. Aucun bruit de fond, pas de plancher qui craque ou de frigo qui ronronne ; seulement le battement de son cœur, le souffle de sa respiration. Le silence pesait onctueusement comme un sortilège. De nouveau, elle voulut émettre un son pour tester l’écho, rien ne sortit. La lumière perlait délicatement sur ses épaules produisant une sensation étrange. Nappée dans un voile de pashmina transparent l’invitant au mouvement. Nonchalamment, machinalement, elle tria les CD devant elle et choisit par hasard « La Source » de Delibes. Elle avait travaillé sur ce ballet aux costumes éblouissants et fantastiques de Christian Lacroix. N’était-elle pas également chez un peintre ? ……
(pages 220/221) …… Le quartier reflétait l’aisance et l’abondance, pourtant il dut ralentir l’allure pour contempler un mur saturé de graffitis et contourner un pauvre bougre couché à même le trottoir à côté de ses pompes. Certainement à cause de la malveillance imbécile d’un passant idiot, elles traînaient dans le caniveau deux mètres plus loin. Se rappelant tout à coup son rendez-vous, Jacques pressa le pas.
Le bâtiment qui abritait sa destination avait pignon sur rue. Moderne en aluminium brossé, percé d’immenses baies verticales. Cela ne ressemblait en aucune façon à l’office d’un privé, héros d’un roman de série noire. Ni crasseux ni glauque. Les secrétaires n’étaient pas des blondes platinées en tutu avec un fume-cigarette long comme une baguette de chef d’orchestre. Non, rien de tout ça, la société paraissait parfaitement organisée, avec des bureaux vitrés et du personnel en costumes cravates et tailleurs foncés.……
…… Le retour se déroula sous une pluie torrentielle zébrée d’éclairs tonitruants. La traversée des monts du Forez, toujours aussi sombres et lugubres, fut l’apothéose du voyage. Tous les éléments extrêmes de l’orage s’étaient donné rendez-vous à cet endroit. Des nuages en morceaux fuyaient l’horizon pour s’agglutiner tous au-dessus de sa tête en une immense masse noire. Des trombes d’eau déferlaient du ciel. Ça pétait dans tous les sens, à un point tel qu’il dut stopper sur une aire de repos ne distinguant plus la route. Il exploita cet intermède forcé pour mettre au courant Luc de sa journée.